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En 1921, les œuvres de Freud rencontrèrent un ample consensus et, en réponse à une augmentation des ventes, ses livres furent traduits en plusieurs langues.  Un des directeurs français de la « Nouvelle Revue Française », André Gide (1869-1951) demanda l’approbation afin d’effectuer la publication des écrits de Freud.  En Juillet de cette année, la Verlag acheta à Heller pour 65 000 marks tous les droits des livres de Freud.  Les membres du Comité rencontrèrent Freud à Berlin le 20 Septembre 1921 et à cette occasion ils purent discuter sur quelques arguments scientifiques parmi lesquels la télépathie dont le travail fut retrouvé seulement et publié après la mort de Freud.
Le second thème qu’il partagea avec ses collaborateurs concernait le mécanisme sous-jacent la jalousie paranoïde et la rencontre se solda par un travail sur les rêves.  Toujours en 1921, Freud fut élu membre honoraire de la Société Hollandaise de Psychiatrie et de Neurologie et réécrit et publia son livre déjà renommé « Psychologie des foules et analyses du Moi ».
Il débuta l’année 1922 avec la visite à Vienne de quelques membres du Comité.  Au cours de cette période Freud suivait des étudiants américains dans leur formation personnelle psychanalytique et leur proposa de compléter cette formation avec un approfondissement théorique qu’ils auraient pu obtenir en participant à quelques conférences, tenues  par quelques analystes viennois.  En raison de cela, Abraham, Ferenczi, Roheim et Sachs tinrent chacun deux conférences.
Le 31 Mai 1922, Anna Freud donna lecture à la Société de Vienne, du travail de Freud, travail intitulé « Les fantasmes de parcours et les rêves de jour » et le 13 Juin elle fut élue Membre de la Société, et ce, à la grande satisfaction de son père.
FreudLe 1er Août Freud était en vacances avec sa chère famille, période qui fut perturbée par la mort de sa nièce Cécile à qui il vouait une grande affection.
Toujours en Août de cette année, Ferenczi qui séjournait à Seefeld avec Rank fût rejoint par Abraham et Sachs et c’est à cette occasion qu’ayant mûri leur décision, ils décidèrent que les membres du Comité devaient se tutoyer et s’appeler en utilisant leurs prénoms.  Néanmoins, Freud continuait à s’adresser à eux tous utilisant toujours le formel « Vous » et les seules personnes qu’il s’autorisait à tutoyer étaient ses compagnons d’études, le psychiatre Professeur Julius Wagner-Jauregg et l’archéologue le Professeur Löwy.
Du 25 au 27 septembre 1922 se tint le Congrès à Berlin où Freud eut l’occasion de lire son intervention qui s’intitulait « Quelques observations sur l’inconscient ».  D’autres communications émanaient d’Abraham, sur la mélancolie et de Ferenczi sur la Théorie génitale, Mélanie Klein, de Hermann Numberg, de Roheim, etc.  Jones déclara à cette occasion que les membres de l’Association étaient passés au cours des deux dernières années, de 191 à 239.
En Février 1923 se manifestèrent les premiers signes de la maladie de Freud qu’il tenait cachée depuis deux mois environ, même à sa famille.  Jones l’apprit par une lettre du
25 Avril écrite par Freud : « Il y a deux mois j’ai découvert sur ma joue gauche et sur le palais, à droite, une prolifération leucoplastique qui a été ôtée le 20.  Je suis encore au repos et ne peut déglutir.  Ils m’ont assuré que « la chose » était de caractère bénin, mais comme vous le savez, personne ne peut en  prévoir l’évolution dans le cas où cela viendrait à grossir.  Mon diagnostic était : épithélioma – mais « ils » ne l’ont pas accepté.
L’étiologie de cette réaction des tissus est imputée au tabac : » 1
Tout commença lorsque Freud, au cours de la troisième semaine d’Avril, consulta un des meilleurs oto-rhino, Markus Hajek qui diagnostiqua une leucoplasie de fumeur et qui, malgré la gravité de la forme rencontrée, lui conseilla une opération en régime ambulatoire. Quelques jours auparavant Félix Deutsch avait rendu visite à Freud  qui devait l’entretenir de questions personnelles et avait noté son désir d’exprimer sa propre opinion sur la prolifération possible.  Même Deutsch était d’avis qu’une intervention chirurgicale radicale était nécessaire.
Quelques jours après, Freud se rendit à l’insu de sa famille, à la Clinique où travaillait Hajek, clinique qui faisait partie d’un hôpital général et qui n’était pas équipée de chambres particulières.  Nous comprenons aisément la surprise et la préoccupation des membres de la famille lorsqu’ils reçurent l’appel téléphonique de la Clinique qui réclamait que leur soient apportés les objets personnels de Freud afin de lui permettre de passer la nuit dans cette Clinique.
Apparemment l’opération fut plus compliquée que prévu : les membres de la famille trouvèrent Freud assis sur une chaise, les vêtements souillés de sang et du fait qu’il n’y avait pas de chambre libre, il avait été installé dans une petite chambre avec un autre patient.  Ni l’épouse, ni sa fille ne purent demeurer à son chevet et lorsqu’elles retournèrent deux heures plus tard, elles furent informées que Freud avait eu une importante hémorragie et que grâce à l’intervention de son compagnon de chambre, et seulement grâce à ce fait, il avait échappé au pire !
Anna voulut demeurer avec lui durant toute la nuit du fait qu’il était visible que les conditions du patient demeuraient encore très critiques.  Ainsi s’acheva la première des trente-trois opérations subies par Freud au cours de son existence.
La prolifération se révéla être cancéreuse : deux traitements de Rayons X et l’administration de capsules de radium furent appliqués.  Les traitements se sont révélés  toxiques au point que Freud écrivait quatre mois après » n’avoir pas passé une heure sans souffrir et ajoutait : « Une compréhensible indifférence face aux banalités de la vie me démontre que l’action de ma douleur pénètre plus en profondeur.  Parmi ces banalités j’inclus la science…  Je n’ai pas de nouvelles idées et je n’ai pas écrit une seule ligne » 2
A cela s’ajoute la mort de son neveu, à l’âge de 4 ans, le deuxième enfant de Sophie,, suite à une tuberculose miliaire.
Après accord de ses médecins, Freud réussit à partir pour ses habituelles vacances de trois mois, mais sur les insistances de sa fille, il rencontra Deutsch qui constatant la réapparition de la prolifération jugea nécessaire une autre intervention.
Le 26 Septembre 1923, Pichler et Hajek soumirent Freud à un examen minutieux et ils constatèrent la présence au palais d’un ulcère de type malin qui envahissait les tissus environnants, ulcère qui nécessitait une nouvelle intervention chirurgicale.  Cette dernière eût lieu en deux temps, le 4 et le 11 Octobre.  Au cours de la première opération l’artère carotide externe fut ligaturée ainsi que les glandes sous-maxillaires et au cours de la deuxième opération eût lieu l’ablation de la mâchoire et d’une partie du palais ce qui contraint à créer une fusion de la cavité nasale avec celle orale.
Durant son hospitalisation Freud écrit une fois à Jones sans faire aucun commentaire sur les résultats de l’opération, puis il envoya une lettre à Abraham avec quelques paroles concises qui exprimaient l’importante déchéance énergétique dans laquelle se trouvait  le Maître :

  19 Octobre 1923

Cher incurable optimiste !

Aujourd’hui les tampons ont été changés.  J’ai quitté le lit.  Je suis vêtu de ce qu’il reste de moi.  Merci pour toutes les nouvelles, lettres, souhaits et coupures de journaux.  A peine il me sera possible de dormir sans injections, je retournerai à la maison.

 Chaleureusement,

Votre Freud   3

Les conséquences des opérations imposèrent à Freud l’utilisation d’une prothèse qui sépare la bouche de la cavité nasale qui était difficilement manœuvrable à cause des  difficultés éprouvées, difficultés énormes à ouvrir la bouche.  La prothèse reçut un surnom « le monstre » : à partir de ce jour là son élocution en fut très affectée de même que la mastication.
Il  put retourner chez lui le 28 Octobre et ses intentions étaient de reprendre son travail le 1er Novembre, mais le 12 Novembre, Pichier dut effectuer une nouvelle opération chirurgicale du fait de la présence de tissus cancéreux sur la cicatrice de la première intervention ; au cours de cette intervention il lui fut retiré une importante portion de tissus (partie molle), le vieux tissus cicatrisé et le ptérygoïdien médial de l’os.
Le 17 Novembre il se soumit volontairement à une nouvelle opération selon Steinach – ligament du vaisseau déférent des deux côtés, dans l’espoir que la revitalisation que l’opération laissait entrevoir puisse différer une métastase du cancer.
L’idée avait été émise par von Urban qui avait travaillé avec Steinach et qui était enchanté des résultats obtenus, malheureusement Freud ne put en bénéficier.
Ce cadre décrit seulement en partie l’énorme souffrance que Freud devait affronter au cours des années successives.  Ce qu’il a écrit en Février 1923 – un important travail – fut publié durant le mois d’Avril dans un numéro de la Revue « Zeitschrift » sous le titre « L’organisation génitale infantile de la libido ».
En 1924, Freud aurait voulu participer au Congrès de Salzbourg et saisir ainsi l’occasion de tirer un trait sur le passé à l’intérieur du Comité, mais d’une part, les  conditions de santé ne le lui permettaient pas et ensuite, aurait-il eu les énergies nécessaires, comme à son habitude, pour écouter toutes les interventions ?
Le 2 Janvier de cette année il put reprendre le travail même avec les prévisibles difficultés d’élocution.  La nouvelle de son état de santé s’était à présent propagée au point que le Conseil communal voulut lui dédier à l’occasion de son anniversaire, le Bürgerrecht de Vienna, l’équivalence d’un titre de citoyenneté honoraire.  Son commentaire à cette occasion sera comme à l’accoutumée très acerbe : « Certains encore doivent avoir pensé que mon prochain anniversaire, le 68ème, pourrait être le dernier, parce que la Ville de Vienne s’est hâtée de m’accorder ce jour là, l’honneur de son Bürgerrecht qui est habituellement attribué à 70 ans »4
Le 8ème Congrès international se tint du 22 au 23 Avril à Salzbourg et Jones cueillit l’occasion pour se rendre tout de suite après à Vienne.  La rencontre avec Freud fut réellement traumatique du fait du changement drastique de son aspect physique et de sa voix.
Dans une lettre adressée à Jones en date du 16 Juillet 1924, Freud exprima sa satisfaction, abandonnant son scepticisme initial, de voir la traduction suivie par la publication des Collected Papers : La nouvelle qui m’a été donnée par Mme Rivière concernant le premier volume de la collection a été pour moi un plaisir et une surprise.  Je confesse d’avoir eu tort.  J’ai sous évalué ou la durée de ma vie ou mes énergies.  Les perspectives exposées dans sa lettre à propos des volumes suivants me paraissent splendides » 5.
Lorsqu’il reçut le premier volume il fut enthousiaste : « Le premier volume de la collection est arrivé.  Imposant !  Ma seule préoccupation était que ces vieilles œuvres ne constituent pas une bonne introduction auprès du public anglais – elle est composée de l’information concernant le second volume qui suivra dans peu de semaines.  Il est souhaitable que suivent rapidement les cas cliniques : c’est pour moi la chose à laquelle j’attribue la plus grande importance : je vois que vous avez atteint votre but qui était d’attribuer une place à la littérature psychanalytique et je me félicite du résultat que vous avez pu obtenir, résultat pour lequel j’avais presque cessé d’espérer »6 .
En 1924 Freud publia outre quelques préfaces, cinq œuvres : dans deux de ces œuvres : « Névroses et psychoses » et « La perte de la réalité dans les névroses et psychoses », il approfondissait ce que déjà exposé dans « Le Moi et le ça ».  En Avril il fit une apparition « Le problème économique du masochisme » et en Juillet «Le déclin du complexe d’Œdipe ».
En 1925 Jones fit savoir à Freud qu’un Institut de Psychanalyse avait été fondé à Londres.
Au Congrès de Salzbourg, Lucerne avait été proposée comme siège du prochain Congrès, mais les Suisses choisirent Genève avec une obligation : après chaque intervention devait suivre une discussion.  Puisque cette condition imposait de notables problèmes de réalisation, Abraham décida de l’organiser en Allemagne.  A cette occasion, Freud devait renoncer également du fait que sa femme et lui avaient projeté une visite à Vienne à l’occasion des fêtes de Pâques.  Les seuls invités présents pour l’anniversaire de Freud, le 6 Mai 1925 étaient deux membres du Comité Ferenczi et Eitingon.
Au cours de cette même année, Abraham eût des problèmes de santé tels qu’au Congrès de Hambourg qui se tenait du 2 au 5 Septembre, il était très éprouvé surtout du fait des effets secondaires de la morphine avec laquelle il essayait de calmer sa toux chronique.
A cette occasion, Jones suggéra à Eitingon que durant le Congrès soit instituée une Commission Internationale qui établisse des critères généraux pour le training psychanalytique, à laquelle toutes les Sociétés auraient dû adhérer afin de favoriser un échange scientifique profitable.  Durant la réunion administrative la proposition fut entérinée immédiatement.  Freud à cette occasion confia à sa fille Anne la lecture de son rapport intitulé « Quelques conséquences psychologiques de la distinction anatomique entre les sexes », rapport publié un mois après sur la «Zeitschrift ».
Dans l’intervalle, Abraham continuait à être tourmenté par sa maladie et, en raison de l’augmentation de volume du foie il insistait afin de subir une intervention chirurgicale (vésicule biliaire) – qu’il rendait responsable de ses malaises.
Il désirait également que la date de l’opération soit choisie selon les calculs de la théorie de Fliess et dans une lettre adressée à Freud il transmettait les salutations que l’ex ami et collègue lui transmettait.  La réponse du Maître fut catégorique : Cette expression de sympathie après 20 ans me laisse indifférent (bien froid)»7.
Par la suite il apparut d’une manière qui ne présentait aucun équivoque qu’Abraham était atteint d’un cancer du poumon : le 18 Décembre 1925, Jones reçut un télégramme de Sachs qui l’informait des graves conditions de santé du collègue.  Abraham mourut une semaine après.  Le jour où Freud reçut la nouvelle de sa mort il écrivit un bref avis nécrologique qui aurait été complété par un écrit biographique de la part de Jones.  Dans ce message nécrologique figurait une citation d’Horace : «Integer vitae scelerisque purus » (« Un homme intègre est sans tâche ») et il précisa à Jones : « J’ai toujours jugé particulièrement de mauvais goût les exagérations à l’occasion d’une mort.  J’ai soigneusement cherché à les éviter, mais je sens que cette citation est vraiment appropriée » 8

© Rossana Ceccarelli

Traduction de Liliane Salvadori

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Note:

1 Ernest Jones “Vita e opere di Freud, l’ultima fase 1919-1939” Il Saggiatore
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