La structuration de l’idée délirante

da | Mar 18, 1986 | Articoli pregressi

Cet article est paru sur le N° 2 du Bulletin de l’Institut de Micropsychanalyse, Premier semestre 1986.

Mon intention est de vous exposer dans cette séance la vérification empirique de la dynamique psychosomatique des fantasmes stimulants-réponse que l’on vérifie au moment de la grossesse à l’intérieur de l’unité materno-fœtale et de sa répercussion sur le destin psychique de l’enfant qui va naître.  Dans l’une des hypothèses centrales de « Micropsychanalyse des processus de transformation » 1, le Professeur Peluffo soutient que sont présentés à nouveau/représentés, au niveau psychique, les moments de tension majeure de la dynamique des processus somatopsychiques : le surplus énergétique est utilisé pour donner vie à la plus élémentaire forme de représentation, l’hallucination primaire, qui, prolongeant l’état de tension, se structure en fantasme primaire.
Au niveau de l’élaboration psychique l’état de déséquilibre somatopsychique constitué par la gestation, créerait chez la mère l’apparition d’un vécu onirique et fantasmatique d’invasion bactérienne qui n’est rien d’autre que la représentation psychique d’un processus somatique : la réaction immunitaire.  De plus et il s’agit là de l’hypothèse qui est suivie et vérifiée, l’on peut affirmer que les vécus psychiques de la mère, non seulement sont enregistrés par le fœtus mais ils activent dans sa psyché, l’apparition de fantasmes-réponse, présents dans leur héréditaire potentialité.
Le matériel que j’utiliserai est tiré du travail de micropsychanalyse d’un jeune de 20 ans venu me consulter en proie à un délire d’omnipotence « Je suis un des trois premiers musiciens du monde !  J’ai l’intention de me faire pousser les membres afin de devenir le plus grand : il me suffit de me concentrer pour y parvenir.  Je peux bloquer ma circulation sanguine, un de ces jours je changerai la couleur de mes yeux, etc. ».  Le matériel délirant recueilli au cours des séances est chargé d’implications et renvoie toujours à des noyaux conflictuels importants.  Dans une phase précoce du traitement j’ai invité la mère du patient à se soumettre à quelques longues séances : en micropsychanalyse, surtout dans des cas aussi graves, une telle procédure n’est pas seulement possible mais est souhaitable.  En effet, je peux tranquillement affirmer que le matériel produit par la mère du jeune a illuminé d’une manière résolutive l’itinéraire thérapeutique du patient, itinéraire difficilement accessible d’une autre manière.
Au début, la mère a utilisé le temps imparti lors des premières séances parlant des difficultés rencontrées par sa propre mère lors de la grossesse et des épisodes de violences physiques et sexuelles que le père lui aurait infligées et auxquelles elle avait dû assister directement lors de son enfance (il est évident que la véracité de ces faits, ou le degré d’intensité dramatique avec lesquels ils sont décrits n’ont que peu d’importance aux fins du travail analytique.  La réalité est toujours celle du vécu psychique et dans chaque être humain, derrière le souvenir d’une scène de coït peut se faire jour le scénario de la Scène primitive à son tour tintée des réminiscences ancestrales des accouplements au sein des hordes primitives).
Spontanément, après quelques séances, la mère parvint à parler de sa grossesse (il s’agit du fils qui est à présent en analyse) : « Lorsque je me suis trouvée enceinte de mon fils, a commencé ma tragédie.  Il y avait une incompatibilité entre le fœtus et mon système neurovégétatif (sic !).  Je prenais des tranquillisants, malgré le fait que je n’ignorais pas que cela pouvait être dangereux pour mon fils.  Je mangeais seulement des pêches et je buvais de l’eau.  J’avais énormément maigri ; à un certain moment les médecins me disaient qu’il aurait été préférable d’avorter.  De plus, au cours de cette période se déclencha le scandale de la thalidomide, de nombreux enfants naissaient sans membres, mon abdomen avait énormément grossi et atteignait la hauteur de mes seins : il était énorme cet enfant ; il devait avoir des membres avec des mains et des pieds plus grands que la normale.  La première chose que j’ai demandé au médecin accoucheur a été : Est il normal ?  Je veux dire a-t-il des mains et des pieds ?  Cela m’est égal s’il est beau, que ce soit un garçon ou une fille : je voulais savoir si mon fils avait des mains et des pieds ? ».
La première chose qu’il est possible de dire face à ce matériel est que le témoignage de la compulsion de répétition est transmis de génération en génération.

Le fait qu’il soit nécessaire d’éviter ou pour le moins de différer les possibles grossesses, existait déjà pour la mère de la personne qui avait renoncé provisoirement à une première conception du fait qu’elle devait se soumettre à une cure à base d’antibiotiques prescrits par son médecin.  La mère de mon patient également avait été contrainte à éviter une grossesse durant une certaine période et lorsqu’elle se trouvera enceinte, elle vivra, dans le profond de son inconscient, cette grossesse comme une attaque perpétrée par un être qui lui lacère le bassin (reconnu) scoliotique, un vagin (reconnu) infantile, ôter et léser ses organes.
Il est évident que l’angoissant désir/crainte d’avoir à l’intérieur de son propre corps un fœtus fétiche remanié et malformé, c’est-à-dire sans membres et donc par voie de conséquence plus petit qu’un fœtus normal, moins envahissant, moins qui va dans la direction d’atténuer le vécu d’invasion qui la domine.  Mais quelles peuvent être les répercussions psychiques de cette activation d’images dans l’enveloppe gestationnelle, sur la psyché de l’enfant qui doit naître?
La première considération qu’il est possible de faire est que le noyau central du délire du jeune représente une tentative omnipotente et magique d’autorestructuration somatique, de remodelage corporel.  En particulier l’attention délirante se fixe sur les parties du corps investies par les fantasmes maternels : les membres et la stature (le jeune mesure 1m 85).  En d’autres termes, le patient élabore en mode délirant le désir inconscient de pouvoir contrôler et procéder à la mutation, rétroactive, du propre développement fœtal, événement traumatique qu’il tente de modifier à travers l’illusion magique de la compulsion de répétition.  Dans une séance successive, le jeune reprend l’argument de l’arrêt de la circulation sanguine, expliquant qu’il s’agit d’une «exigence défensive » : « Je provoquerai un affrontement sacré avec un Maître de Kung-Fu : mon salut sera d’amener tout mon sang sous une aisselle pour le protéger, je serai ainsi, invulnérable ».
Le jeune entend se défendre de l’agresseur en le maintenant éloigné de son propre sang : comment ne pas considérer que l’échange biologique et génétique le plus important entre mère et fils advient à travers les chambres intervillaires placentaires par la voie sanguine ?
Je parlais précédemment du « témoin » de la compulsion de répétition transmis de génération en génération.  En termes plus concis, nous pourrons dire qu’existent dans le « ça » générationnel, des « schémas traumatiques », c’est-à-dire des événements de grave déséquilibre énergétique, soutenus par une base somatique constitutionnelle qui se renouvellent de génération en génération et de grossesse en grossesse, influençant l’ontogenèse individuelle et la structuration du psychisme.
Pareillement, nous pouvons supposer l’existence d’un système de défense et de régulation qui court le long des lignées générationnelles et que nous pourrons définir « Moi générationnel ou généalogique ».  C’est de la rencontre et de l’interaction de ce Moi rudimentaire prénatal et du terrain  psychique héréditaire avec les «schémas traumatiques phylogénétiques » que jaillira une élaboration somatopsychique du conflit plus ou moins pathogène.  Les  ontogénétiques ont la possibilité de fixer, renforcer et désamorcer (lorsque cela est possible) les structures d’un conflit qui, rappelons-le, roule sur des binaires génétiques.  Enfin, les traumas importants de la vie intra-utérine rencontrant un terrain psychique phylogénétique hypersensible, provoquent un développement pathologique du psychisme à tel point que la réalité interne se confond d’une manière inextricable avec celle externe, et les restes nocturnes de l’activité onirique, qui pourtant est le plus efficace mécanisme dont dispose l’homme pour neutraliser la propre tension somatopsychique , ne viennent pas, pour employer un terme de Silvio Fanti 2, suffisamment ab-rêvés.

NOTES:

1 – Nicola Peluffo • Micropsicoanalisi dei processi di trasformazione • Book Store, Torino, 1976.
2 – Silvio Fanti • L’uomo in micropsicoanalisi • Borla, Roma 1984.